« La meilleure façon de vivre ça, c’est de ne pas vouloir en vivre » (Ayi DOSSAVI-ALIPOEH)

Article : « La meilleure façon de vivre ça, c’est de ne pas vouloir en vivre » (Ayi DOSSAVI-ALIPOEH)
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15 juin 2017

« La meilleure façon de vivre ça, c’est de ne pas vouloir en vivre » (Ayi DOSSAVI-ALIPOEH)

Mondoblogueur, grand amateur de musique classique et de Jazz, fan d’Adèle – la chanteuse britannique –  et panafricaniste convaincu, Ayi Dossavi-Alipoeh est un jeune écrivain qui a déjà à son actif trois ouvrages dont son premier recueil de poèmes, Rosées lointaines, paru en juillet 2015 et avec lequel il a été programmé sur la 10e édition du festival international Filbleu. Dans cette interview qu’il m’a accordée, il est longuement question de Rosées lointaines. Mais également de son parcours qui va des sciences aux lettres, du métier d’écrivain ou de poète et de l’avenir du blogging au Togo, entre autres.

 

Comment te définirais-tu ?

Pour faire simple, je me définirais comme un écrivain à l’origine passionné par les lettres et qui s’intéresse également à la science et à la culture.

 

Tu as fait tes études supérieures à l’ESTBA…

Oui, oui ! J’ai fait une Licence en analyse biomédicale à l’Ecole Supérieure de Technique Biologique et Alimentaire en abrégé ESTBA. Un cursus en sciences de la santé.

 

C’est un fort message, j’ai envie de dire, pour la mère patrie et également un hymne à la vie, à l’humanité et à l’Afrique globalement.

 

 

Ton premier recueil de poèmes, Rosées lointaines, est paru en juillet 2015. Quel est le message que tu veux passer à travers tes vers ?

 

Essentiellement, je crois que c’est… je ne dirai pas de tout et de rien. Je parle d’un certain nombre de choses. Je raconte un peu le quotidien, et surtout mon amour pour mon pays, mon continent et mon peuple essentiellement, et l’amour en général qui ne manque pas dans nos productions littéraires. C’est un fort message, j’ai envie de dire, pour la mère patrie et également un hymne à la vie, à l’humanité et à l’Afrique globalement. Ce n’était pas à l’origine un recueil à thème précis. Ça nous a donné une certaine liberté.

 

Je travaille plus au niveau des textes. Pour plusieurs raisons : passer des messages, et m’exprimer. C’est vrai que je me penche plus vers les lettres que vers les sciences. C’est du 60-40 en gros. Mais ça varie selon les jours.

 

Tu as déjà gagné par le passé deux prix littéraires. Entre toi et la littérature, est-ce une histoire d’amour ? Es-tu plus scientifique que littéraire ?  

Fondamentalement, je ne m’inscris pas dans cette division littéraire-scientifique. Pour moi, c’est quelque chose qu’il faudra corriger dans notre façon de voir l’école et la façon d’aborder les choses. Ceci étant dit, est-ce que je suis plus littéraire que scientifique ou scientifique que littéraire ? Non, non… j’adore ce que j’ai étudié : les sciences de la santé. C’est très intéressant. Même si pour le moment, je travaille plus au niveau des textes. Pour plusieurs raisons : passer des messages, et m’exprimer. C’est vrai que je me penche plus vers les lettres que vers les sciences. C’est du 60-40 en gros. Mais ça varie selon les jours.

 

Donc tu préfères les mots ou les lettres aux rats de laboratoires ?

 

Euh… non, non. Je suis quelqu’un qui écrivait des textes entre un cours de biologie et de mathématiques. Mais au-delà de ça, je garde un pied quand même au laboratoire. Parce que c’est important, c’est intéressant et tout aussi passionnant. On n’a pas autant l’occasion de s’exprimer, de passer un message dans un laboratoire comme on peut le faire à travers des livres. Donc, c’est important aussi.

 

Pour moi, le fait que les poètes, les écrivains en général soient moins représentés dans le monde ne veut pas dire que leur temps est passé. Ça veut dire que ce monde va mal. La poésie, le roman ou l’écriture en général participent à forger l’esprit des gens.

 

Alors, le monde actuel peut-il se passer des poètes ?

 

Ça, c’est une grande question. C’est un éternel débat. Pour moi, le simple fait que l’on se pose la question montre que, encore aujourd’hui… non. Non. C’est vrai qu’on est de plus en plus distrait, poussé vers la matière, éloigné de la culture générale. Mais c’est un faux problème ! Pour moi, le fait que les poètes, les écrivains en général soient moins représentés dans le monde ne veut pas dire que leur temps est passé. Ça veut dire que ce monde va mal. La poésie, le roman ou l’écriture en général participent à forger l’esprit des gens. S’il n’y a plus ceux qui parlent au cœur, à l’âme, à l’esprit des personnes, je me demande bien de quoi les gens seront faits. Donc, c’est ça qui pose problème. Le monde ne peut pas s’en passer. S’il prétend s’en passer, c’est qu’il est malade en fait. Il y a un grand vide et nous remplissons ce vide avec du vide. Non, on ne pourra pas se passer des poètes…

 

On gratte un peu sur les heures de sommeil pour écrire. Ce qui fait que c’est très difficile d’en vivre. La meilleure façon de vivre ça, c’est de ne pas vouloir en vivre. Ça libère et tu ne te mets pas la pression non plus.

 

Je crois qu’avec ton recueil de poèmes, tu viens de rentrer dans le cercle fermé (ou pas?) des poètes togolais. Avec ta petite expérience, est-ce que le poète togolais peut vraiment vivre de son art ?

 

Le cercle n’est pas trop ouvert. Mais ce n’est pas fermé non plus (rires). Il y a encore quelques années, j’aurais dit non. Mais aujourd’hui, celui qui s’y consacre vraiment matin, midi et soir et fait des « tournées » et avec beaucoup d’efforts, je pense qu’on peut commencer à tirer nos épingles du jeu. Mais c’est difficile. Surtout parce que la plupart des écrivains ne sont pas uniquement écrivains. Ils ont plusieurs casquettes, notamment le poète. Entre les heures creuses, on se débrouille. On gratte un peu sur les heures de sommeil pour écrire. Ce qui fait que c’est très difficile d’en vivre. La meilleure façon de vivre ça, c’est de ne pas vouloir en vivre. Ça libère et tu ne te mets pas la pression non plus. Mais celui qui s’y met vraiment à fond, vraiment, c’est-à-dire matin, midi et soir de lundi à dimanche, se lève, sillonne le pays, d’écoles en écoles, vend son truc, va sur les médias, je pense qu’il peut tirer son épingle du jeu. Aujourd’hui, c’est faisable. Je pense que ça le sera encore plus dans quelques années. Disons qu’Il y a de l’espoir.

 

On va un peu parcourir le recueil de poèmes. À la page 16, tu écris :

« La misère embrasse mon pays comme une catin affriolante

Et mon pays fornique avec elle, et baigne dans le sang et la fiente !

Je lui baise les pieds et je l’embrasse, la terre qui m’a vu naître,

En lui demandant : « Pourquoi donc as-tu donné le sein à ces traîtres ? »

 

Tu y vas un peu fort non ?

 

Oui, c’est vrai. Comme les textes n’ont pas été écrits au même moment, chacun porte l’état d’esprit, l’état mental, le feeling de l’auteur au moment où il écrit. C’est un cri de colère. Je ne me rappelle plus très bien de l’occasion. C’est vrai que le Togo nous donne beaucoup d’occasions de nous énerver. Ça ne manque pas. Je pense quand même, pour un Etat relativement petit comme le nôtre, pas surpeuplé, normalement nous ne devons pas avoir certains problèmes. C’est étonnant, énervant, ça retourne l’estomac de constater certaines réalités.  Et quand on est écrivain, on rend ça. Oui, j’y vais un peu fort. Je pense que j’ai le droit. Et on ne m’en voudra pas pour ça.

 

Le Togo seul ne pourra pas s’en sortir. Le Ghana seul ne pourra pas s’en sortir. La Côte d’Ivoire ou le Mali seul ne pourront pas s’en sortir. Ni le Congo ni le Malawi.

 

Alors, es-tu défaitiste quant à ce que les choses changent ou s’arrangent ?

 

Non. Pas du tout. Absolument pas. Je ne suis pas d’un optimisme béat. Je crois que les gens construisent leur destin. Mais pour ça, il faut être prêt à faire des sacrifices. Je ne suis absolument pas défaitiste quant au destin du Togo. Je ne regrette pas le Togo. Je regrette l’Afrique en général. J’ai une vision beaucoup plus continentale du destin commun. Le Togo seul ne pourra pas s’en sortir. Le Ghana seul ne pourra pas s’en sortir. La Côte d’Ivoire ou le Mali seul ne pourront pas s’en sortir. Ni le Congo ni le Malawi. Je pense vraiment que c’est une renaissance totale africaine. C’est Tabo Nbéki  qui parlait de renaissance africaine à un moment donné. Je penche plus vers ça. Donc, je ne suis absolument pas défaitiste ou en désespoir quant au destin du Togo ou de l’Afrique. Au contraire, j’ai un immense espoir pour l’avenir. Comme dirait Edem Kodjo, il ne faut surtout pas sombrer dans le désespoir. L’Afrique a son avenir devant elle. Mais, il faudra se battre, il faudra travailler. J’ai un grand et immense espoir pour l’avenir.

 

On retourne à ton recueil de poèmes à la page 25 très exactement où se trouve le poème intitulé Cours

« Un prof, tout grand tout docte, dans une salle

Parle, parle, parle

Brasse l’air et le feu et le souffle et les mots et l’idée

L’auditoire, distraitement attentif,

Gît, exsangue,

Bataillant férocement contre le sommeil

L’université … Le poids de l’ennui ».

 

L’Université est-il vraiment le poids de l’ennui ?

 

(Rires) Je pense qu’on a tous… Il nous est arrivé de nous ennuyer ferme à l’Université hein ! C’est incroyable ! Parfois, tu te demandes qu’est-ce que le type raconte. C’est ça quoi ! On a appris des choses très passionnantes aussi. Mais par moment, je ne sais pas si c’est lui qui se fout de nous ou le contraire, mais parfois certains profs nous facilitent la chose quant à l’ennui ! C’est une petite pique comme ça qui est restée dans le texte. J’ai trouvé ça amusant de garder ça. C’est un clin d’œil à la fac. Je pense que beaucoup de mes camarades étudiants, ceux qui sont passées par l’Université s’y retrouveront d’une manière ou d’une autre.

 

C’est quoi la prochaine étape ? Un nouveau recueil de poèmes, un roman ?

 

Oui ! Les deux. Les trois mêmes je dirai puisqu’actuellement, je travaille à la fois sur un prochain recueil de poèmes, un roman également et un essai. Un essai pas politique, mais plutôt théorique. Je ne sais pas lequel des trois sortira en premier parce que l’édition au Togo c’est un chemin de croix. Mais je ne compte pas m’arrêter quand même ! Il y a encore des choses intéressantes à dire. Rester à l’écoute. Déjà, il faut profiter de ce premier recueil, achetez-le en attendant et il y aura certainement d’ici la fin de l’année un autre ouvrage à paraître.

 

Je pense que le plus intéressant c’est le fait que les gens puissent s’exprimer. Pendant longtemps, on a été chacun dans notre coin avec quelque chose dans sa tête qu’à un moment donné on a failli exploser. Maintenant, il y a un foisonnement incroyable des voix, des points de vue, une multitude de centres d’intérêts, de points de vue.

 

On sait aussi que vous êtes blogueur, mondoblogueur qui plus est. Ça fait un moment qu’on constate un foisonnement de blogueurs sur la toile. Comment voyez-vous l’avenir du blogging au Togo ?

 

Je pense que c’est comme pour l’écriture. Il y a une renaissance si on peut dire, une nouvelle floraison, une ré-émergence des idées. C’est intéressant le blogging. C’est quand même les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ça ouvre des voies. Je pense que le plus intéressant, c’est le fait que les gens puissent s’exprimer. Pendant longtemps, on a été chacun dans notre coin avec quelque chose dans sa tête, tant et si bien, qu’à un moment donné on a failli exploser. Maintenant, il y a un foisonnement incroyable des voix, des points de vue, une multitude de centres d’intérêts, de points de vue. Je pense que si nos autorités du ministère des Postes et de l’Economie Numérique nous offre une meilleure connexion, ça ira encore en avant. J’ai un bon espoir pour ça. J’ai aussi un regard un peu distant par rapport à ça. Je tourne de plus en plus vers le livre physique, vers des « travaux » plus sérieux, plus conséquents.  Mais, je trouve très intéressant cette émergence. Ça fait beaucoup de bruit aussi hein. Le fait que tout le monde ait la parole n’est pas forcément une bonne chose (rires). C’est quand même mieux que quand personne n’a le droit de s’exprimer. Je pense que des gens ont commencé par devenir blogueurs professionnels. Ça a déjà commencé, ça ira crescendo. Ça ouvrira la voie à la fois pour la liberté d’expression, pour la communication et aussi pour les affaires dans un pays où le chômage est quand même assez important.

 

Il faut sortir du Togo peut être pour se rendre compte de ce qu’est le Togo. On dit que c’est un petit pays par la taille mais grand par ses hommes. Mais, combien de grands hommes avons-nous ? J’imagine le Togo en négociation avec la Chine. Quand on sait que notre population représente un quartier de Beijing, on doit se poser des questions et se remettre en cause. Le temps des petits pays est révolu.

 

Quand on vous écoute, on sent le panafricain. Le panafricanisme, vous y croyez ?

 

Absolument ! Je suis un panafricain convaincu. Je dirai même panafricain radical. C’est une question de point de vue, de vision des choses. Ne serait-ce que pour des raisons géostratégiques ou géopolitiques. Le temps des petits ensembles est révolu. Il faudra que les pays africains le comprennent. Les petits pays à moins, d’être Israël et d’avoir un puissant réseau de diaspora, des gens fortunés répartis aux quatre coins du monde, ne pèsent rien face à la Russie, à la Chine, à l’Inde, aux Etats-Unis, ou à l’Union Européenne. Il faut oublier ça. Je ne dis pas de fusionner tout comme ça. Mais, il faut voir grand. Il faut sortir du Togo peut-être pour se rendre compte de ce qu’est le Togo. On dit que c’est un petit pays par la taille mais grand par ses hommes. Mais, combien de grands hommes avons-nous ? J’imagine le Togo en négociation avec la Chine. Quand on sait que notre population représente un quartier de Beijing, on doit se poser des questions et se remettre en cause. Le temps des petits pays est révolu. C’est fini ça. Après, chacun sa sensibilité. C’est mon point de vue. Rien que pour ça, je suis un panafricain radical. Quelle forme ça prendra, comment ça va se présenter, c’est autre chose. Je pense que c’est un point de vue intéressant qui malgré les échecs cuisants du passé, mérite quand même d’être revisité, re-exploré pour l’avenir. Même si l’Union Africaine joue très mal son rôle qui lui était dévolu, c’est un indice quand même de ce vers quoi on doit tendre. Ce n’est que mon point de vue évidemment. Mon avis compte si peu.

 

Comme je lis beaucoup, je me suis rendu compte que c’est une musique qu’on peut écouter tout en lisant. C’est généralement sans paroles.

 

C’est la musique classique que tu écoutes apparemment lorsque tu écris tes vers et textes !

 

Oui, je suis un immense consommateur de musique classique européenne.

 

Une bonne source d’inspiration ?

 

Oui. C’est excellent pour… en fait, c’est intéressant la façon dont je suis arrivé à ça. Comme je lis beaucoup, je me suis rendu compte que c’est une musique qu’on peut écouter tout en lisant. C’est généralement sans paroles. J’ai également découvert les grands compositeurs comme Mozart ou Bach… Beethoven aussi, qui pour moi est le plus grand compositeur de tous les temps même devant Mozart. Je consomme aussi beaucoup de jazz que certains appellent la musique classique africaine. C’est un parallèle intéressant. J’écoute donc beaucoup de musique classique et de jazz, mais je suis ouvert à tous les genres musicaux.

 

J’ai repris les disques de mon père pour reprendre Youssoupha.

 

Vos artistes préférés de Jazz ?

 

Incontestablement Miles Davis, Sydney Bechet, le vieux Louis Armstrong, John Coltrane aussi. Disons que je suis relativement old school. J’ai repris les disques de mon père pour reprendre Youssoupha.

 

 

Et côté féminin ?

 

En matière de jazz, je verrai plutôt Nina Simone. C’est La voix par excellence en matière de musique. Pour les slows, j’écoute beaucoup Nana Mouskouri. J’écoute aussi l’anglaise Adele qui est la meilleure chanteuse d’Europe des dix dernières années selon moi.

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