A quelle heure changeras-tu de couleur de peau ?
Pour lui, c’était comme un jeu d’enfant. Ce jeune homme pointait l’index de sa main droite vers le poignet de sa main gauche tout en me regardant avec un sourire narquois. Alors que je ne portais pas de montre, c’était comme s’il me demandait l’heure qu’il était en cet après-midi où je quittais la Bibliotheca Alexandrina -l’une des plus grandes bibliothèques du monde- pour retourner à pied à l’Université Senghor. Le Chef du département Environnement nous avait prévenu. Certains anciens étudiants nous avaient mis la puce à l’oreille. Je n’étais donc pas vraiment surpris par ce geste. Le jeune homme me demandait en fait l’heure à laquelle je changerai de couleur de peau. Autrement dit, quand je passerai de ma peau noire à la peau blanche ou à sa couleur de peau (blanche ou basanée, c’est selon). Je l’ai tout simplement ignoré. Il est revenu à la charge pour me refaire le même geste avec un sourire plus railleur encore. Fallait-il lui répondre ? Ce n’était pas la peine ! J’ai dû contenir ma rage et mon envie de lui faire la morale. Je n’ai pas bronché et je suis resté encore une fois indifférent. Finalement il a compris le message, heureusement. Il n’a plus récidivé.
Payer l’impôt ou la taxe sur sa couleur de peau
Ici c’est une habitude, par certains gestes qui nous sont adressés – comme ce fut mon cas – qu’on nous pose ce genre de question. Parfois, les questions nous sont directement et verbalement posées, soit en anglais soit en arabe. Les enfants vous toucheront même le bras avant de vous les poser. C’est ce qui est arrivé à ce camarade Burundais dans un supermarché. C’est de cette façon que les sub-sahariens payent quotidiennement ici ce que l’historien Pap Ndiaye appelle l’impôt ou la taxe sur la couleur de peau dans son ouvrage « La condition noire, essai sur une minorité française » (paru en 2008).
Dans la rue, tu es interpellé : on te demande si tu es Soudanais, car ici et à priori, tout Noir est Soudanais. Tu es souvent la risée des autres. Quand tu marches, tous les regards sont tournés vers toi et, à un moment donné, tu entends les gens glousser et s’esclaffer. C’est ce qui m’est arrivé la dernière fois que je me suis promené avec une camarade Camerounaise : un groupe de filles voilées, après nous avoir fixé longuement, nous ont dépassé et se sont esclaffées de rire. J’ai même entendu l’une d’entre elles s’exclamer : « Oh my God » ! Tu entendras aussi un « Samara » qui veut dire littéralement « brûlé par le soleil » à ton endroit. Est-ce une injure ? Une remarque désobligeante ? Tu as parfois l’impression d’être un pestiféré quand tu vois dans certains regards et dans certains comportements la crainte ou le dégoût. « Tout le monde nous regarde comme si nous étions des extraterrestres » a lâché ma compatriote avec qui je rentrais un jour. Parfois, dans le bus, le moindre contact involontaire peut être considéré comme un crime de lèse-majesté. Certains te toisent quand vos regards se croisent et t’évitent ensuite du mieux qu’ils le peuvent.
Objet de curiosité car différent
Tu sens parfois que tu es juste un objet de curiosité. Je le remarque dans le regard des gosses, ils sont étonnés, surpris, voire même terrifiés de voir des personnes d’une couleur de peau différente de la leur. Les plus jeunes et les plus âgés engagent la conversation, ils veulent savoir d’où tu viens, la raison de ta présence dans leur quartier, leur ville (Alexandrie) et leur pays (l’Egypte) ainsi que la durée de ton séjour. Il y en a même qui demandent à prendre des photos ou des selfies avec toi, ce que j’ai toujours refusé. Des photos ? Pour quoi faire ? Pour aller les montrer à leurs amis et à leurs proches ? Pour leurs dire : « Venez regarder ! J’ai pris une photo avec un Noir ! » D’autres te demandent même ton numéro de téléphone. Pour en faire quoi ? Je ne saurais le dire. Se lier d’amitié peut-être… Les plus sympathiques vous diront « bonjour » car ils savent que vous êtes francophones et ils esquisseront un sourire à votre endroit. Les bienveillants par leur sollicitude vous rendront service. La vie d’ici est manichéenne : il y a le bon et le mauvais côté des choses.
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