Bè, le village des chasseurs ou la cachette des Adja venus du Dahomey
Connu comme l’un des quartiers populaires de Lomé, Bè devrait son existence à Dzitri, le supposé fondateur de la ville de Lomé. « Des documents allemands et un article de l’administrateur Nativel (1933) sont à l’origine des traditions rapportées (…) qui situeraient au XVIe siècle l’installation du chasseur Djitri à l’emplacement de l’ancien Zongo » écrivait Robert Cornevin[1] dans le mensuel du Golfe du Bénin de septembre 1984, Togo Dialogue[2]. « Dzitri, en effet s’établit à un endroit qu’il dénommait « Alomé », d’après des arbres qui végétaient à l’emplacement où fut construite sa première case et dont les fruits sont dits « alo » en langue Ewe. « Alomé » signifiait donc au milieu des alos »: « Alomé » perdra plus tard son initiale « A » [pour devenir Lomé], explicite le premier historien togolais le Révérend Père Henri Kwakumé cité par Yves Marguerat de l’ORSTOM[3] dans « Les deux naissances de Lomé: une analyse critique des sources »[4]. « En s’y établissant, poursuit RP Kwakumé[5], le chasseur Dzitri escomptait être à l’abri des animaux féroces dont toute la région côtière était infestée en ce temps-là ». Mais plus tard, il sera confronté à un autre problème : celui de l’agrandissement de sa famille.
« (…) Craignant que leur nouvel habitat ne fut découvert à la longue par leurs ennemis, les dahoméens firent une loi de ne jamais parler à haute voix, ni de tirer des coups de fusils, ni de s’amuser en dansant aux sons du tam-tam (…) »
C’est ainsi qu’il fonda « Adelatô » qu’on pourrait traduire par « quartier ou village des chasseurs » pour son fils aîné Aglê comme le soutient H. Kwakumé. Les versions divergent sur la paternité du fondateur de « Adelatô ». Selon Robert Cornevin, c’est Aglen lui-même qui fonda Bè. « La famille de Djitri s’accroissant, son fils aîné Aglen va fonder Adelanto » justifie-t-il. Fuyant le Dahomey ou Grand Popo pour motifs de guerres, des Adja vinrent se réfugier à Adelanto chez Aglen. Ce dernier les accepta après l’accord de son père Dzitri. « (…) Craignant que leur nouvel habitat ne fut découvert à la longue par leurs ennemis, les dahoméens firent une loi de ne jamais parler à haute voix, ni de tirer des coups de fusils, ni de s’amuser en dansant aux sons du tam-tam (…) » explique le premier historien togolais. C’est donc la raison pour laquelle Aglen a surnommé Adelanto « Bè » (Cachette). Adelatô était aussi surnommé « Badefe, badekpa ». Ce qui veut dire à en croire H. Kwakumé : clotûre où l’on ne parle qu’à voix basse. Robert Cornevin a comme d’habitude, si on peut s’exprimer ainsi, une autre version de la signification de ce second surnom. Il parle lui de « Bè Badépi Badakpa »: « Faites tout ce que vous voulez sans peur, je suis là pour vous défendre ». Aglen aurait donc dit cela aux Adja. Mais c’est bien Bè que Adelatô gardera comme nom jusqu’à aujourd’hui.
Héberger les réfugiers Adja venus de grand Popo ne sera pas sans conséquences pour Dzitiri et son fils aîné. Mais, on va s’arrêter là. Ces conséquences feront l’objet d’un autre billet ultérieurement.
[1] Ex Secrétaire Perpétuel de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer.
[2] Robert Cornevin. Au sujet des origines de Lomé, Togo Dialogue, N°92, 1984.
[3] Office de la recherche scientifique et technique outre-mer, aujourd’hui remplacé par l’IRD (Institut de recherche pour le développement)
[4] Les deux naissances de Lomé : Une analyse critique des sources. In : Gayibor N., Marguerat Y. Nyassogbo K. (ss. dir. de) 1998 : Le centenaire de Lomé, capitale du Togo (1897-1997), Actes du colloque de Lomé (3-6 mars 1997), Collection « Patrimoine » n°7, Lomé, Presses de l’UB, pp.59-77.
[5] « Premier prêtre natif du Togo, ordonné en 1928, décédé en 1960, il publia d’abord ses études dans des articles de la revue catholique en éwé Mia Holo, dans les années 1930, puis les reprit en livre en 1984 » (Yves Marguerat).
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