SOTRAL en mode « latrine publique »

Article : SOTRAL en mode « latrine publique »
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19 mai 2016

SOTRAL en mode « latrine publique »

La scène se passe dans un bus SOTRAL (Société des Transports de Lomé) de la Ligne 12, qui va de la BIA située au grand marché de Lomé jusqu’à l’entreprise de l’Union au quartier Avédji.
Ce lundi 25 avril 2016, je suis parti un peu tard du boulot, vers 18h30. Je me suis résolu à prendre un taxi. Arrivé à la place des martyrs dans le quartier administratif, pas très loin du ministère du commerce et de la promotion du secteur privé où se trouve un arrêt SOTRAL et où je peux prendre un taxi, j’ai vu un collègue, lui aussi habitué du bus SOTRAL. Il m’a fait comprendre qu’entre 18h30 et 19h00, le dernier tour passait et que c’était possible de prendre le bus. Je me suis donc ravisé et j’ai attendu avec lui. Il n’avait pas tort. On a effectivement pris le bus.

Une fois entrés dans le bus et ayant payés nos tickets, mon nez m’alerta aussitôt qu’il détectait une fragrance étrange dans le bus. Au fur et à mesure que j’avançai vers le fond du bus, l’odeur prenait de l’ampleur. Des passagers rouspétaient, protestaient et grognaient. Ils morigénaient en fait une jeune maman. « L’enfant n’a même pas porté de caleçon«  déplora une passagère. « Même pas de couche«  ajouta une autre sur un ton colérique. Les critiques, les insultes, les commentaires et les remarques fusaient. C’est là que je compris que le bébé ou l’enfant (entre 1 et 3 ans) de la maman en question avait déféqué ou pour faire plus court, avait ‘fait caca’, et, par la même, l’origine de cette odeur bizarre qui m’interpella dès mon entrée dans le bus. Déjà que les odeurs corporelles fermentées étaient légion dans le bus, cette soirée de lundi était une aubaine pour les amateurs, s’il y en a, d’odeurs fétides. Tout avait l’air d’un cocktail explosif d’odeurs répugnantes. Nos nez allaient souffrir le martyr.
Revenons donc à la jeune maman, source de toutes les attentions dans le bus. Dans sa bulle, elle ne daignait même pas s’excuser auprès des passagers. Pour elle, il n’y avait rien d’anormal. L’odeur du caca de son enfant ne devrait poser aucun problème. Enfermée donc dans une logique de méthode Coué, elle répliquait de plus belle aux remarques et injures des passagers surtout des femmes plus âgées qu’elle, qui essayaient de la conseiller tant bien que mal. « Que chacun s’occupe de ses oignons ! » semblait-elle dire. Que son enfant ait fait caca, qu’il n’ait pas porté de caleçon, qu’elle ne prenne pas bien soin de sa petite fille, qu’elle l’ait laissée dans la bassine avec laquelle elle a pris le bus après son caca comme si elle s’en débarrassait n’engageait qu’elle, et personne d’autre ne devrait s’en plaindre. Elle ne mit pas longtemps à provoquer un véritable tollé dans le véhicule. Une levée de boucliers s’ensuivit. Au fur et à mesure que le bus avançait et que d’autres passagers le ralliaient, l’odeur du caca prenait de l’ampleur et les contestataires devenaient de plus en plus nombreux. Le bus se transforma en un tribunal où la jeune maman, seule, était sur le banc des accusés, face aux autres passagers qui représentaient la société.
Elle était un peu l’incarnation de tout ce que la morale sociale réprouve. Dans le déni total, elle tenait mordicus. À la voir de plus près, elle ne paraissait pas si jeune que cela. Je lui aurais donné volontiers entre 30 et 40 ans. Peut-être moins. Elle avait la coupe afro, portait un t-shirt blanc et avait noué un pagne autour de ses reins. Elle se défendait, argumentait comme pas possible. Les mamans plus âgées et les vieilles femmes lui disaient de la fermer car « elle avait tort ! », arguaient-elles. Les hommes âgés aussi abondaient dans le même sens. Le comble fut atteint lorsqu’elle menaça son enfant de punition pour lui avoir causé tout ce qui était en train de se passer. Les passagers la mirent en garde de ne jamais lever la main sur son enfant ni dans le bus ni en dehors. Elle voulut même lever la main sur un vieux monsieur qui ne la supportait guère et ne le cachait pas en lui faisant des remarques désobligeantes : « ton mari doit vraiment souffrir à la maison », « il doit être lassé de toi », « plus jeune, je ne t’aurais jamais fait la cour », « ton mari n’a rien trouvé de meilleur que toi ? », « tu ne prends pas bien soin de toi, de ton enfant, encore moins », « quelle éducation peux-tu donner à ton enfant ? », « t’as-t-on forcé à enfanter ? », etc. Telle était la kyrielle de remarques, de questions et de commentaires aussi acerbes les uns que les autres à son endroit. Elle provoqua l’ire de certains passagers qui voulaient, l’odeur du caca devenant insupportable, qu’on la sorte carrément du bus. Le contrôleur qui, maintes fois, avait essayé de la ramener à la raison, faillit céder à leur demande. Ce furent d’autres passagers, pour la plupart des femmes, qui vinrent à sa rescousse en plaidant la cause de son enfant. « Ce ne serait pas bien de la faire descendre avec l’enfant ! » avançaient-elles. Elles suppliaient les autres de patienter car elle descendrait bientôt.
Elle descendit effectivement à Bè-Klikanmé, emportant avec elle son bébé, l’odeur ô combien nauséabonde du « caca », toute la frustration, la colère, l’indignation et l’amertume qu’elle avait pu provoquer chez les passagers et toute l’outrecuidance, l’opiniâtreté et l’impolitesse dont elle avait fait montre durant le trajet. Cependant, sa descente ne mit pas non plus un terme aux différents débats qu’elle avait pu susciter.
Je me suis finalement dit qu’elle avait simplement permis aux passagers, après la dure journée qu’ils avaient sûrement passé, de se défouler sur elle et de libérer toute leur frustration. Au final, tout le monde en a eu pour son grade !

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